La propriété de la maison Kruse réglée
Fin de 5 ans de démarches judiciaires
Avec la collaboration de Jean-Philippe Thibault | Après près de cinq ans de démarches judiciaires, la Société du chemin de fer de la Gaspésie (SCFG) est enfin devenue propriétaire de la maison Kruse, bâtiment patrimonial près de la gare intermodale de Gaspé.
« On a eu un jugement, explique le président Éric Dubé. Il faut rappeler que c’est un bail emphytéotique signé en 1919 ou 1921. C’est un bail de 99 ans. On devait s’entendre avec le propriétaire. Ça n’a pas marché. Plus de signal, plus de réponse. Au travers de ça, le bâtiment a été abandonné. »
Celui-ci a souffert d’un manque d’entretien. Il a été aussi squatté ces dernières années. L’an dernier, les occupants illégaux avaient en outre ouvert l’eau dans le bâtiment et ne l’avait pas fermée pour l’hiver.
« Les canalisations ont gelé. Ça a amené d’autres bris. On devra faire évaluer le bâtiment pour la suite des choses, car on sait que c’est un bâtiment patrimonial. Ce n’est pas la Société qui va l’exploiter », précise Éric Dubé.
Difficile cependant de se prononcer sur l’état du bâtiment, le président laissant le soin aux experts d’étudier la maison. Si jamais elle était récupérable, les coûts pourraient être importants.
« On va discuter avec la Ville [de Gaspé]. Ça prendra un promoteur pour l’opérer. On ne transformera pas ça en hôtel. Notre business, c’est le transport de marchandises; d’exploiter un rail. Comme élus, notre objectif n’est pas de mettre la pelle dans ça. Pour savoir ce qu’il est possible de faire, il faudra aller chercher des expertises. »

Quel avenir?
Toute une histoire se cache derrière les murs de la maison Kruse, aujourd’hui délabrés. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, des militaires y logeaient temporairement en attendant que la base de Fort Ramsay soit prête. Entre autres choses (plus de détails en fin de texte).
« C’est une maison historique très importante pour l’histoire de Gaspé. C’est la maison qui a logé les travailleurs qui ont construit le chemin de fer. Ensuite, c’est devenu un hôtel », rappelle le maire de Gaspé, Daniel Côté. Cependant, son état est préoccupant.
« Il y a eu un mégadégât d’eau à l’intérieur. Des murs ont été défoncés. Il y a eu de l’infiltration d’eau par la toiture, ajoute-t-il. Elle est peut-être récupérable. C’est ce que les analyses de la SCFG permettront de démontrer. Ça fait partie des demandes que j’ai d’avoir un carnet de santé. Si elle est récupérable, ça prendra un projet. » Le premier magistrat est aussi d’avis qu’il n’appartiendrait pas à la Société d’en faire le développement.
« Je ne suis pas un architecte de la construction, mais il peut arriver qu’elle soit contaminée aux champignons. Si elle n’est pas récupérable, ce serait une perte importante dans le patrimoine de Gaspé. »
Population consultée
La Ville avait d’ailleurs été sollicitée pour qu’elle achète la maison des descendants de la famille Kruse.
« Ils demandaient au-dessus de 400 000 $ alors qu’il y avait des infiltrations d’eau partout et qu’elle était laissée à l’abandon. Et surtout que le terrain appartenait à la Société du chemin de fer de la Gaspésie. La maison était sous bail emphytéotique de 100 ans qui avait pris fin au moment où le propriétaire tentait de la prendre. Légalement, c’était trop risqué », raconte le maire.
Il est aussi d’avis que la population devra être consultée, peu importe la conclusion du carnet de santé. « On va y aller avec beaucoup de délicatesse et d’implication citoyenne pour la suite. »
Un patrimoine bâti
La maison Kruse fait partie du patrimoine bâti de la MRC de La Côte-de-Gaspé. Cependant, elle n’a pas de reconnaissance officielle du ministère de la Culture.
La MRC notait que sa valeur patrimoniale repose sur son histoire, son ancienneté, son style architectural et son état d’authenticité. Le bâtiment aurait été construit en 1922 pour Alfred C. Kruse et Rachel Jane Butlin.
La demeure est représentative d’un type de résidences issu de l’architecture vernaculaire américaine, soit la maison cubique, reconnaissable à sa toiture à pavillon ou à croupes et particulièrement populaire au Québec entre la fin du XIXe siècle et les années 1940.
Au moment de sa reconnaissance par la MRC en 2020, la page dédiée au bâtiment évoquait un excellent état d’authenticité conféré par la présence d’un revêtement extérieur de planches de bois à clins complété de chambranles et de planches cornières, de fenêtres en bois, de portes en bois ainsi que par la préservation de la composition et de la volumétrie d’origine.
Visiblement, les squatteurs qui l’ont fréquenté ont fait fi de l’histoire de cette maison, considérant le volet visible de la rue de son état de délabrement.
Riche histoire
Toute une histoire se cache derrière les murs de la maison Kruse, aujourd’hui délabrés. Après avoir tout perdu dans un incendie à Campbellton en 1910, Alfred C. Kruse et son épouse Rachel Jane Butlin s’installent à Gaspé, rappelle le répertoire du patrimoine culturel du Québec. En 1922, ils font construire ce qui sera plus tard appelé la maison ou l’hôtel Kruse. Rachel y tient une pension surtout fréquentée par les voyageurs du Canadien National.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, des militaires y logeaient temporairement en attendant que la base de Fort Ramsay soit prête. C’est alors Gladys Amy LeTouzel qui gérait l’établissement, note l’historien et auteur Jacques Bouchard dans Le patrimoine touristique de la Gaspésie. Gladys est l’épouse de Walter Alfred Kruse, le fils d’Alfred. « LeTouzel surnommée The fighting lady n’hésitait jamais à s’impliquer pour accorder le gîte et le couvert aux survivants des torpillages. Cette dame a souvent été photographiée, nous la montrant fièrement avec un groupe de marins rescapés des eaux glaciales du Saint-Laurent devant l’hôtel. »
Avec des vêtements chauds gracieusement offerts, les marins repartaient ensuite en train pour accomplir leur devoir aux quatre coins de la planète. « La maison Kruse a hébergé des rescapés de navires qui ont été coulés par des U-boats au large du cap Gaspé et du cap des Rosiers. Il y a toute une documentation là-dessus », expliquait récemment l’historien Jean-Marie Fallu au journal Le Soir.
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