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Quand les pirates attaquent nos ondes

La chronique hebdomadaire de Johanne Fournier
(Photo courtoisie)

On savait déjà que l’intelligence artificielle pouvait plagier des articles de presse, réécrire des contenus ou s’immiscer dans nos plateformes sans y être invitée. On savait aussi que les fausses nouvelles circulaient à la vitesse d’un clic. Mais, que des stations de radio locales, bien ancrées dans nos communautés, deviennent la cible d’attaques sournoises et racistes… Ça, franchement, on ne l’avait pas vu venir !

Le dimanche 23 novembre, plusieurs auditeurs de radios régionales, dont ceux de CJMC Bleu-FM à Sainte-Anne-des-Monts, ont eu l’impression que leur appareil était possédé. Au lieu de la voix familière de leur animateur, ce sont des signaux d’alarme, des messages haineux et des propos ouvertement racistes, incluant la répétition incessante du mot en N, qui ont envahi les ondes. Une prise d’assaut violente, inattendue et profondément troublante.

La station Bleu FM de Sainte-Anne-des-Monts.
(Photo Le Soir – Dominique Fortier)

Attaque virtuelle ciblée ?

Les artisans de la station cherchent encore à comprendre ce qui s’est passé. Une défaillance ? Une mauvaise manipulation ? Non. Tout porte à croire qu’il s’agit d’une attaque virtuelle ciblée, dirigée contre des équipements techniques essentiels. Dans le cas de CJMC, les pirates auraient visé un composant clé : une petite boîte de la marque suisse Barix, aussi banale qu’indispensable, qui est utilisée pour transmettre le signal audio vers l’antenne. Du matériel courant et fiable, mais pas à l’abri d’une intrusion, surtout lorsque les mots de passe par défaut n’ont jamais été modifiés.

Le technicien de la station de la Haute-Gaspésie a bien tenté de reprendre le contrôle. Impossible. Les pirates auraient changé les accès, verrouillant littéralement l’équipement. Face à cette situation hors de contrôle, une seule solution : tout débrancher. C’est l’équivalent numérique d’arracher la prise murale pour faire taire l’envahisseur.

La signature d’un groupe organisé ?

Plus troublant encore : CJMC n’est pas seule ! D’autres stations québécoises ont été touchées et même des radios aux États-Unis. On est loin d’un petit plaisantin qui s’amuse dans le sous-sol de ses parents ! Simultanée et coordonnée, l’opération porte vraisemblablement la signature d’un groupe organisé. Peut-être international, peut-être étatique, peut-être les deux.

Or, c’est là que le malaise s’installe. Car, si un pirate peut prendre le contrôle d’une station locale et y diffuser des messages haineux, qu’est-ce qui empêchera la prochaine attaque d’être encore plus destructrice ? Pourrait-on assister à une incitation à la violence, à une fausse alerte à la bombe, à un message d’urgence fabriqué de toutes pièces ? Je vous entends me dire que j’exagère. Pas tant que ça, quand on sait que les créateurs de fausses nouvelles et de désinformation aiment les failles, tant techniques qu’humaines. La simplicité est rarement une alliée en cybersécurité.

Plusieurs stations utilisent les mêmes outils de transmission, les mêmes équipements, parfois installés rapidement, parfois configurés à la va-vite. Souvent à bout de ressources, l’industrie radiophonique régionale mise sur l’efficacité et la simplicité. Mais, la simplicité est rarement une alliée en cybersécurité.

Soyons honnêtes : nous ne sommes peut-être qu’au début d’une vague de cyberattaques contre nos médias. La radio, pourtant l’un des médias les plus résilients, pourrait bien se retrouver en première ligne. Qui aurait cru que l’arme d’un pirate informatique serait une petite boîte en plastique branchée derrière une console de son ?

Quelques conseils

Les solutions ne sont pas légion, mais elles existent : mettre à jour les équipements et changer les mots de passe par défaut sont des évidences qui ne sont visiblement pas universelles. Former le personnel et renforcer les pare-feu sont autant de conseils que répètent les experts. Aussi et surtout, il faut cesser de croire que, parce qu’on émet depuis Rimouski, Matane, Gaspé ou Sainte-Anne-des-Monts, on est à l’abri des grandes tempêtes numériques.

La radio demeure un lien vital dans nos communautés, un espace de confiance, une voix familière dans le bruit ambiant. Protéger les ondes n’est donc pas un luxe. C’est une nécessité parce qu’il serait catastrophique que celles qui nous informent, nous rassurent et nous rassemblent deviennent les jouets de pirates tapis dans l’ombre.

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