L’IA dans nos bulletins de nouvelles
L'opinion de Johanne Fournier
Imaginez-vous en voiture. Vous écoutez votre station radio locale et le bulletin de nouvelles commence. Une voix féminine, claire et professionnelle, vous livre les grands titres de la journée. Rien d’inhabituel, si ce n’est ce petit détail : cette voix n’appartient à personne. Elle est entièrement générée par l’intelligence artificielle (IA).
Depuis quelques mois, Arsenal Media, propriétaire de 25 stations de radio réparties dans une dizaine de régions du Québec, utilise des voix de synthèse pour lire certains bulletins de nouvelles, particulièrement en soirée. L’entreprise possède six stations dans l’Est-du-Québec. Elles sont situées à Rimouski, Matane, Amqui et Dégelis.
Arsenal Media justifie cette décision par une pénurie de journalistes en région. Selon moi, cet argument est contestable, même s’il peut certes être difficile de recruter des journalistes au Bas-Saint-Laurent et en Gaspésie. Mais, le véritable problème est peut-être le contraire : les journalistes diplômés manquent d’occasions de travailler en raison des difficultés de l’industrie médiatique.
Bien que la cueillette et l’écriture des nouvelles soient toujours effectuées par de vrais journalistes chez Arsenal Media, cette pratique contrevient au guide de déontologie de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ). Récemment mis à jour pour intégrer la notion d’intelligence artificielle, ce guide recommande d’utiliser l’IA pour assister les journalistes, non pas pour les remplacer.
Je ne suis pas réfractaire à l’utilisation de l’IA dans la profession journalistique. Je reconnais que cette technologie peut faciliter notre travail et que les résultats sont parfois impressionnants. Néanmoins, le remplacement des journalistes par des machines demeure profondément préoccupant.
Dérive
Le cas du Journal de Sherbrooke, un site web apparu le 28 octobre, est nettement plus grave. Ce faux média provoque l’indignation généralisée en utilisant l’intelligence artificielle pour rédiger l’entièreté de ses articles.
Les pratiques du Journal de Sherbrooke sont particulièrement troublantes et multiples. Le site reprend systématiquement des informations et des images provenant d’autres médias sans leur accorder le moindre crédit. Il cite des intervenants sans avoir obtenu leur consentement et sans avoir communiqué avec eux.
Pire encore, il crée de toutes pièces des profils de journalistes fictifs, dont un certain Tommy Brodeur, visiblement inspiré du journaliste judiciaire Tommy Brochu de La Tribune.
Ces pratiques sont non éthiques. Ces « journalistes » ne sont que des avatars. Par conséquent, personne n’est redevable.
Problème plus large
Le Journal de Sherbrooke n’est rien d’autre qu’une escroquerie. Ce journal factice n’a aucune crédibilité. Ce cas n’est malheureusement pas isolé. D’autres sites similaires ont émergé sur les réseaux sociaux, notamment Montréal Minute, Le 514 au quotidien et Québecoscope.
Ces plateformes comblent le vide laissé par l’absence de nouvelles canadiennes crédibles sur Facebook depuis 2023.
Le principal objectif de ces médias fictifs est de générer des clics publicitaires. Ces pratiques douteuses contribuent à éroder davantage la confiance du public à l’égard des vrais médias, qui est déjà fragile.
Enjeux déontologiques et éthiques
Le phénomène pose une question cruciale : quel est l’avenir de l’information régionale à l’ère de l’intelligence artificielle? Dans tous les cas soulevés précédemment, on observe une déshumanisation progressive de l’information.

Or, le journalisme régional transcende la simple transmission de faits. Il constitue un tissu de relations humaines, d’expertise du terrain et de compréhension des enjeux locaux. Il repose sur la capacité de poser les bonnes questions, de déceler les nuances et de donner la parole aux communautés.
C’est ce que, jour après jour, s’efforcent de faire les artisans de l’information des trois journaux Le Soir.
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