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Présence accrue du requin blanc

Un grand requin blanc peut mesure jusqu’à 6 mètres de longueur. (Photo archives – depositphotos.com)

Par Émilie Bernier | Initiative de journalisme localBien que le requin blanc soit connu depuis des milliers d’années au Canada, sa présence continue de susciter curiosité et fascination.

La récente capture sur image d’un juvénile s’attaquant à une carcasse de phoque dans la baie de Gaspé a fait le tour du Web en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire.

Le 10 août, un mâle subadulte de 9,5 pieds et 462 livres – Danny – a été répertorié au large de Chandler. Au début du mois, un autre subadulte se promenait dans les environs des Îles-de-la-Madeleine; Quint, un mâle de 9,8 pieds pour 587 livres.

L’Observatoire des requins du Saint-Laurent (ORS) a ainsi émis un avis à l’intention des plongeurs et autres usagers du milieu marin concernant la présence accrue de requins blancs dans le golfe du Saint-Laurent.

Mythes et réalité

Se gardant d’être alarmiste, le fondateur de l’observatoire, Jeffrey Gallant, souhaite livrer un message de précaution fondé sur l’observation scientifique, plutôt que sur l’exagération, la peur ou le sensationnalisme.

« Nous agissons par souci de sécurité et d’information – et non par obligation – en réponse aux nombreux appels des médias et de citoyens inquiets, ainsi qu’en l’absence de toute communication officielle des organismes gouvernementaux concernant l’augmentation d’observations et les signes confirmant la présence accrue de cette espèce dans le Saint-Laurent. »

La rencontre du 2 août entre un plongeur et un requin blanc aux Îles-de-la-Madeleine, ainsi que la présence de plusieurs phoques mutilés en Gaspésie, ont mené l’ORS à faire cette démarche, un « contrepoids scientifique aux distorsions virales sur les réseaux sociaux, aux canulars générés par l’IA, aux généralisations excessives des influenceurs, ainsi qu’à la désinformation en général. »

Jeffrey Gallant rappelle d’emblée que le requin blanc n’est pas le prédateur monstrueux véhiculé par plusieurs films, dont Les Dents de la mer, mais que « la tendance récente qui présente le requin blanc comme indifférent aux humains, et donc inoffensif, est tout aussi erronée et réduit à l’excès la complexité réelle de son comportement. »

La vérité se situe entre les deux et dépend de nombreux paramètres, résume le scientifique.

Il rappelle que divers facteurs environnementaux et comportementaux (visibilité sous l’eau, densité de proies naturelles comme les phoques, présence de congénères) influenceront le niveau de risque posé par un requin blanc.

 « La plupart des incidents résultent probablement d’une combinaison exceptionnelle de telles circonstances, où la victime se trouve, à son insu, au mauvais endroit au mauvais moment. »

La carcasse d’un phoque retrouvée à Rivière-au-Tonnerre le 12 août 2024 pourrait être le résultat d’une attaque de requin blanc. (Photo RQUMM)

En hausse

Chose certaine, la fréquence des interactions s’est intensifiée dans les dernières années. 

« Jusqu’en 2021, aucune interaction confirmée entre un plongeur et un requin blanc n’avait été documentée au Canada. Depuis, près de 10 rencontres ont été signalées en Nouvelle-Écosse, et celle rapportée le 2 août aux Îles-de-la-Madeleine constituerait la première interaction non provoquée dans les eaux du Québec et du golfe du Saint-Laurent », écrit le fondateur de l’ORS. 

Certains secteurs sont plus à risque, en lien avec la présence d’importantes colonies de phoques. 

« Personnellement, j’éviterais de plonger à des endroits notoirement riches en phoques comme le Rocher aux Oiseaux, le Corps-Mort et l’île Brion pendant la migration saisonnière du requin blanc dans le golfe, soit de juin à novembre. Ces lieux sont manifestement devenus des zones de prédation active […] Pour le reste des sites madelinots, comme ailleurs dans le golfe, en l’absence d’attroupements importants de phoques, je n’hésiterais pas à plonger, toujours accompagné d’un binôme, mais je demeurerais néanmoins vigilant, ce qui reste une pratique essentielle en plongée. »

Plus largement, il invite les plongeurs à éviter les grands attroupements de phoques, surtout lorsqu’ils demeurent collés au rivage (ce qui peut indiquer la présence d’un prédateur), à privilégier les sites en eau claire, à plonger avec des armateurs locaux connaissant bien les conditions, et à se tenir informés des rapports d’observation peuvent contribuer à réduire considérablement les risques.

« La sécurité du plongeur dépend non seulement du comportement animalier, mais aussi de son propre état d’esprit. L’apparition soudaine et inattendue d’un requin peut provoquer une panique, en particulier chez les plongeurs moins expérimentés », indique-t-il, invitant à la préparation mentale et à la conscience environnementale.

Un grand requin blanc. (Photo iStock)

Nageurs, pagayeurs et plaisanciers

Les plongeurs ne sont pas les seuls concernés par la présence accrue de requins blancs.

« Les nageurs et pagayeurs doivent se montrer attentifs à la présence de phoques, et éviter les zones où ils sont concentrés », précise Jeffrey Gallant. 

Les plaisanciers devraient pour leur part maintenir une distance minimale de 10 mètres de toute activité de surface impliquant un requin blanc; en particulier lors de la consommation d’un phoque ou d’une autre carcasse.

« Un requin blanc en situation de prédation peut adopter un comportement énergique et imprévisible, et dans de rares cas, heurter un bateau ou mordre accidentellement un boudin ou un moteur, par curiosité ou erreur. Cela pourrait entraîner des conséquences graves, telles qu’une perte d’équilibre ou une crevaison. »

Quoi qu’il en soit, les rencontres avec le requin blanc sont appelées à se multiplier dans les années à venir. Le scientifique y voit plutôt une bonne nouvelle.

« L’océan est en pleine mutation, et nous devons aborder cette nouvelle réalité avec calme, réalisme et optimisme. La réapparition marquée du requin blanc constitue un rare signe d’espoir pour la santé du Saint-Laurent, bien qu’il impose certains défis pour les activités humaines. En nous adaptant à cette situation évolutive, en comprenant les risques et en acceptant quelques compromis raisonnables, nous pourrons continuer à profiter de la mer, tout en intégrant cette présence renouvelée à nos usages et à nos cultures, comme l’ont fait les peuples autochtones depuis des millénaires », conclut le spécialiste de ce grand poisson.

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