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Demeure Toi, financement et arguments

L’arrivée des premiers adultes autistes était prévue pour le 20 juillet, mais leur accueil a été retardé. (Photo Le Soir – Jean-Philippe Thibault)

Une lettre d’opinion signée par Pierre-Luc Fréchette, membre du Barreau de l’Ontario, personne autiste et résident de Gaspé

En tant que personne autiste et avocat, je suis très surpris des propos du député provincial, Stéphane Sainte-Croix, concernant le financement des services de Demeure Toi. 

Il y a plusieurs erreurs factuelles qui sont avancées avec une telle certitude, que l’on peut raisonnablement se demander si le député a été mal informé, ou s’il a décidé de mentir dans une stratégie de poudre aux yeux et de dénigrement de l’organisme. Personnellement, je crois que son « indignation » est sincère, mais qu’il a fait le choix de ne pas s’informer dûment et diligemment. 

Avant d’insinuer publiquement que l’organisme se comporte de mauvaise foi dans cette affaire, le député aurait mieux fait de poser des questions. Après tout, il est bien entouré et connecté, et peut aller chercher les connaissances qu’il n’a pas. On ne devient pas Joe-Connaissant le lendemain d’une élection gagnée.

Pour rappel, Demeure Toi porte un projet de 11 logements pour personnes autistes, en plein centre-ville de Gaspé. Le projet a mis plusieurs années à se former. Le coût du projet est de 9 millions de dollars; une somme importante amassée grâce à la générosité des résidents de Gaspé, mais aussi du gouvernement fédéral et du ministère provincial de l’habitation. Autrement dit, le réseau de la santé – le CISSS régional – n’a pas contribué à cette somme.

Aujourd’hui, à la veille de l’entrée des locataires, le CISSS évalue leurs besoins grosso modo à un financement de 5 000 $ par personne, par année. L’organisme évalue plutôt ces besoins à 25 000 $, et retarde son ouverture en attente d’un financement qu’il juge adéquat.

Précisions

Voici donc les propos qui m’ont fait bondir et sur lesquels je souhaite intervenir.

1- « Les critères de financement sont connus depuis belle lurette et sont normés  … Le ministère ne fera pas fi de ses propres règles pour répondre à un besoin estimé non reconnu. »

L’évaluation des besoins des locataires autistes n’est PAS normée par le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS). Celui-ci n’a pas de normes ni de cadre de référence pour le logement communautaire pour personnes autistes. La méthode d’évaluation des besoins, c’est à la discrétion du CISSS !

2- L’ISO-SMAF est un système d’évaluation de profils 1 à 14 pour évaluer l’autonomie résidentielle (et est donc la bonne méthode d’évaluation).

L’ISO-SMAF est la méthode principale d’évaluation d’autonomie résidentielle dans la province pour les personnes aînées. L’évaluation a été conçue et est utilisée pour cette clientèle (capacités physiques et la mémoire, pour caricaturer). Rien à voir avec les besoins des personnes autistes en matière d’autonomie résidentielle. Le Québec a développé dans les dernières décennies une expertise de pointe sur l’autisme qui est reconnue à l’international. Cette expertise a même été institutionnalisée, et plusieurs ressources sont accessibles pour s’éduquer. Je n’en nommerai que deux, qui offrent du contenu audiovisuel, si le député n’aime pas trop la lecture : l’IU DI-TSA et le RNETSA.

L’autisme est de nos jours connu, mais toujours incompris. Le réseau électrique qu’est le cerveau fonctionne différemment. La personne expérimente de l’hyposensibilité et de l’hypersensibilité pour certains stimuli (lesquels, ça varie d’une personne à l’autre) qui peuvent être sensoriels ou sociaux/interactifs. S’il n’y a pas de services adressant de façon personnalisée ces sensibilités, la personne expérimente alors un « neurocrash » : un burnout, un meltdown, ou un shutdown (ce ne sont pas des synonymes).

L’hôpital de Gaspé. (Photo Le Soir – Jean-Philippe Thibault)

Un coup bas

En fait, pour les personnes ayant une connaissance minimale et de l’autisme et de l’ISO-SMAF, il est évident qu’il y a une inadéquation, que ce n’est pas le bon outil. Non seulement il n’y a pas de débat à ce sujet au sein des experts en autisme, je dirais que cette association (autisme et ISO-SMAF) est tout à fait honteuse. Je pense que nos experts au Québec, et les autres CISSS, auraient honte de cette
position de notre CISSS régional.

Il n’y a donc rien d’étonnant pour moi qu’avec l’ISO-SMAF, les futurs locataires autistes ont « scoré bas », ce qui permet au CISSS d’envoyer des peanuts à l’organisme. Si l’organisme prend les peanuts, il devra peut-être fermer dans quelques années. Pour tout l’argent investi, pour tout le potentiel que contient le projet pour notre communauté, il faudrait peut-être s’y intéresser un peu plus. Posez quelques questions, monsieur le député.

Pour résumer : ce n’est pas vrai que le CISSS n’a pas le choix, qu’il suit les règles du ministère, qu’il a évalué de façon compétente et scientifiquement acceptable les besoins des locataires. Ce n’est pas vrai que l’organisme est opportuniste et nous fait un coup sous la ceinture. C’est plutôt le CISSS et le député qui sont en train de faire un coup bas à l’organisme, et surtout, surtout surtout surtout, aux personnes autistes concernées. 

Parlant de faits, si vous l’avez manqué, le PDG du CISSS a récemment annoncé qu’il avait 10 millions à chercher, pour son exercice budgétaire. Je présume qu’il va devoir couper là où il peut, c’est-à-dire, là où ça ne fera pas trop de vagues…

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