Un Océan de saveurs : dénouement étonnant

Le cueilleur d’algues Antoine Nicolas a eu une surprise de taille le 6 mars dernier. Travaillant sous juridiction fédérale avec Pêches et Océans Canada (MPO) depuis les débuts de son entreprise Un Océan de saveurs, en 2011, le ministère lui a finalement appris que ses activités ne relevaient pas de lui, mais qu’elles étaient plutôt de compétence provinciale.
Une révision de l’approche de gestion faite l’an dernier par le MPO a conclu que le ministère n’a pas le pouvoir de faire respecter les conditions de permis de plantes marines dans les eaux provinciales. « C’est déconcertant, laisse tomber d’emblée l’entrepreneur. C’est presque abracadabresque de constater qu’ils évoluaient en dehors de leur juridiction tout ce temps-là. »
En vertu de la Loi sur les pêches, le MPO peut délivrer des permis seulement dans les eaux côtières du Canada. La définition n’est pas simple, mais ces eaux côtières sont grosso modo celles situées à l’extérieur des limites géographiques des provinces.
Au Québec, la délimitation provinciale regroupe la partie nord de la baie des Chaleurs, l’estuaire du Saint-Laurent à l’ouest d’une ligne reliant la rivière Saint Jean (Côte-Nord), la pointe ouest de l’île d’Anticosti et Cap-des-Rosiers ainsi que la baie de Gaspé. L’aire de travail d’Antoine Nicolas, qui occupe environ 100 km de littoral en Gaspésie, est donc de compétence provinciale. Le Québec aurait ainsi dû gérer la gestion des algues de ce secteur depuis 30 ans.
La gestion a maintenant été transférée au ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation, et à celui de la Faune. Les deux ministères collaborent avec le MPO dans la transition puisque Québec n’a pas de réglementation actuellement pour encadrer la récolte de plantes marines

À 180 degrés
Depuis cette année, le MPO n’émet plus de permis pour la récolte des plantes marines en eaux provinciales au Québec. Il s’agit d’un revirement de situation assez spectaculaire pour Un Océan de saveurs et son créateur Antoine Nicolas, qui a eu quelques démêlés avec la justice dans les dernières années.
En 2021, l’une de ses employées s’est vue remettre un constat d’infraction pour avoir accidentellement arraché le pied d’une algue. L’entrepreneur a contesté cette décision en plaidant que ce pied s’arrache naturellement et très facilement, et qu’il était difficile voire impossible de faire autrement.
Antoine Nicolas a gagné sa cause en justice et les accusations sont tombées. Une autre fois, il s’est fait interpeller pour ne pas avoir eu en main son permis de cueillette papier, alors que ce permis de cueillette n’était délivré que de manière numérique. Le biologiste se bat depuis longtemps pour une gestion plus réaliste des algues, obtenir des allégements et dépoussiérer la réglementation désuète, faisant régulièrement les manchettes.
Ces différentes anicroches l’ont rebuté et encouragé à délocaliser ses activités de la Gaspésie au Nouveau-Brunswick, où les règles étaient plus souples. L’entrepreneur évalue que toutes ces péripéties ont entraîné un manque à gagner d’environ 135 000$ l’année des actions en justice. Un arrêt de travail de trois mois s’en est suivi pour des raisons de santé reliées aux événements. Il a aussi perdu pendant ce temps un secteur de récolte de 20 kilomètres de littoral, sans son consentement.
« On est capable de traîner quelqu’un en cour avec un huissier qui est venu chez moi à 19 h pour m’en informer alors qu’on est à côté de notre juridiction, pour se faire dire 18 mois plus tard qu’on s’est trompé; c’est quand même assez heavy », analyse Antoine Nicolas, qui ne compte pas aujourd’hui en réplique intenté des poursuites.
Ses amendes qui au départ étaient de 4000$ seront intégralement remboursées. « Il y a un préjudice c’est certain, qui est important au niveau santé, financier et sur l’image aussi. On se bat pour être écoresponsables et on essaie d’être les plus durables, mais on se fait traîner dans la boue pour des vices de procédure. C’est particulier. »
L’entrepreneur préfère regarder devant. Pour l’instant, les relations sont très bonnes avec le provincial. Une partie de ses activités reviendront d’ailleurs cette année en Gaspésie. « On a des avancées majeures qui vont permettre de reprendre plus de la moitié de nos récoltes pour la diversité des espèces », se réjouit celui qui emploie entre 4 et 10 employés selon les saisons. Avec cette volte-face, l’homme est blanchi et peut aller de l’avant. La morale de l’histoire? « Il faut se battre pour faire bouger les choses », conclut Antoine Nicolas.